Le Monde, Le Parisien, Le Télégramme, Sud-Ouest, Midi libre, de nombreux journaux quotidiens français célèbrent avec force articles et livres leur 80e anniversaire à l’automne prochain. Tous ces titres ont été créés à la Libération pour remplacer une presse considérée comme collaborationniste.
Le cas de la presse française est singulier en Europe. Après la Seconde Guerre mondiale, en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark et autres pays occupés par les nazis, et même en Italie, la presse est épurée des dirigeants et journalistes qui ont collaboré, mais les journaux et les entreprises sont rendus à leurs propriétaires d’avant-guerre.
Ainsi, à côté d’une presse issue de la résistance, la plupart des grands quotidiens de ces pays, fondés au XIXe siècle, reprennent leur vie ordinaire après la parenthèse fasciste ou nazie. Citons comme exemples parmi tant d’autres : en Belgique, Le Soir (1887), La Libre Belgique (1884), Het Laatste Nieuws (1888), aux Pays-Bas, De Telegraaf (1897),au Danemark, Ekstra Bladet (1905), en Italie, La Stampa (1867), Corriere della Sera (1876).
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La reprise en main de la presse française
La France fait partie du camp des vainqueurs, mais les vaincus y sont nombreux. Après la libération, il faut donc procéder à une épuration et à une réorganisation, afin de laisser la place aux organes de presse issus de la Résistance. Pour les résistants, si la France a été vaincue en 1940, si elle a collaboré avec l’Occupant, c’est en partie parce que la presse n’a pas su préparer le peuple au combat. Elle est perçue comme corrompue et vénale, ne pensant qu’au profit, à séduire la clientèle par des artifices, et ayant oublié son noble rôle de gardienne de la démocratie et d’éducatrice du peuple.
À la fin 1943, la Commission de la presse du Comité général d’études de la Résistance précisait déjà :
« Pour assurer la dignité et l’indépendance de la presse : 1. Un journal doit vivre au grand jour, faire contrôler sa comptabilité par l’État, publier son bilan ; 2. Un journal doit être financé par une masse de petits actionnaires et non par quelques gros commanditaires ; 3. Un journal doit appartenir à un groupement politique ou idéologique et non à un groupe d’actionnaires ; 4. Un journal ne doit pas être considéré comme une entreprise industrielle ou commerciale, il doit s’interdire de faire des bénéfices. »
Il faut donc, selon le député et ancien responsable de la presse au sein de la Résistance Francisque Gay, « ne pas laisser l’argent prendre sous tutelle la presse de la France rénovée. La suppression des journaux indignes fut réalisée en un seul jour dans la France entière. »
Dès 1944, des ordonnances du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), puis des lois, à partir de 1946, réglementent la presse, ainsi que la radio, nationalisée, l’agence Havas remplacée par l’Agence France Presse et le cinéma.
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Les ordonnances de la Libération
L’ordonnance du 6 mai 1944 rétablit la liberté de la presse selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la loi du 29 juillet 1881. Toutefois, en attendant la fin de la guerre, elle instaure l’autorisation préalable, accordée par le préfet ou le ministre de l’Information. L’ordonnance du 15 juin 1945 supprime le contrôle préventif, mais les informations militaires demeurent soumises à la censure. L’ordonnance du 12 octobre 1945 abroge cette disposition et supprime définitivement la censure.
L’ordonnance du 22 juin 1944 reprend les dispositions du « Cahier bleu » élaboré par la Résistance métropolitaine : elle fixe les modalités de la suspension des titres de presse qui ont commencé ou continué de paraître plus de quinze jours après l’occupation, soit le 25 juin 1940 pour la zone Nord et le 26 novembre 1942 pour la zone sud. L’ordonnance décrète la mise sous séquestre des biens des entreprises éditant un titre suspendu, la réquisition des imprimeries de presse, des entreprises de publicité et de distribution, la dissolution des organisations de presse et d’information. Les biens réquisitionnés sont mis à la disposition de la presse nouvelle.
Plus tard, l’ordonnance du 30 septembre 1944 rend définitive l’interdiction des titres suspendus, les entreprises éditrices font l’objet de poursuites judiciaires automatiques et l’ordonnance transfère les biens de presse des administrateurs provisoires à l’administration des Domaines. Cette dernière peut louer, sous-louer et conclure des contrats d’impression. La loi du 11 mai 1946 organise le transfert, la dévolution, la répartition et l’attribution des biens des entreprises de presse dont les titres ont été interdits. La dévolution des biens confisqués est confiée à la Société nationale des entreprises de presse (SNEP), établissement public à caractère industriel et commercial. Elle attribue en propriété ou en jouissance les biens à des entreprises de presse autorisées.
188 quotidiens qui paraissaient avant la guerre sont interdits
Il faut ensuite attendre près de dix ans pour que la loi de Moustier du 2 août 1954 règle définitivement les différends entre les anciens propriétaires et les nouvelles entreprises de presse : toutes les interdictions et toutes les décisions de transfert sont validées. Auparavant, les ordonnances de 1944 et les lois adoptées par la suite avaient conduit à un transfert quasi total des entreprises de médias.
Les anciens journaux, excepté ceux qui se sont sabordés rapidement, sont pour la plupart interdits, les nouveaux journaux doivent être constitués par des équipes de résistants, des partis politiques, des associations, etc., sur des bases politiques.
Au total, 188 des 206 quotidiens qui paraissaient avant la guerre sont interdits, 221 autorisations de paraître sont délivrées entre août 1944 et la loi du 28 février 1947 qui supprime l’autorisation de paraître.
Fin 1948, en application de l’ordonnance du 5 mai 1945, 538 entreprises de presse ont été poursuivies, 393 bénéficient de non-lieu ou de classement, 115 sont condamnées à la confiscation totale ou partielle, 30 acquittées et 35 affaires sont encore en cours d’instruction à Paris.
Il ne reste plus qu’une poignée de quotidiens nés avant la guerre : à Paris, Le Figaro, Les Échos, La Croix (autorisée en avril 1945 bien qu’ayant paru jusqu’en juin 1944), L’Humanité, Le Populaire, L’Aube, et en province, Le Progrès (Lyon), L’Est républicain (Nancy), Le Républicain lorrain (Metz), Le Bien public (Dijon) et La Montagne (Clermont-Ferrand).
Les nouveaux journaux et leur devenir
À la fin de la guerre, alors que la France sort de quatre années de censure et de propagande, la volonté d’organiser le pluralisme par l’intermédiaire de l’État réalise quasiment l’unanimité dans l’opinion.
En 1945-46, 39 quotidiens paraissent à Paris et plus de 200 en région. Le tirage atteint 14 millions d’exemplaires en 1946, mais cinq ans plus tard il passe sous la barre des 10 millions.
Les quotidiens politiques de commentaires déclinent et meurent les uns après les autres (Ce Matin, Résistance, Le Pays, Paris-Matin, Cité-Soir, Libération-Soir, Libres, Front national, etc., bientôt suivis par L’Aube, Le Populaire, puis Libération et enfin Combat en 1974), tandis que prospèrent les journaux qui répondent aux demandes des lecteurs d’informations et d’actualités en se coulant dans les habits de leurs prédécesseurs : Ouest-France après Ouest-Eclair, Nice-Matin après Le Petit Niçois, Sud-Ouest après La Petite Gironde, Le Parisien libéré après Le Petit Parisien, Le Monde après Le Temps, France-Soir après Paris-Soir, etc. Ce sont tous ces titres qui célèbrent leurs 80 ans cette année.
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